Vous connaissez l’abréviation FFF, pour Fight, Fly and Freeze (Combat, Fuite, Sidération), qui sont les réactions innées et spontanées de survie de notre système nerveux. Ces réactions sont codées profondément dans notre génome, pilotées par notre système nerveux sympathique (SNS) et nous permettent, par le largage instantané de neuro transmetteurs, d’avoir une réaction physiologique adaptée (musculaire, sanguine et même immunitaire et psychologique) dans des situations d’urgence, de façon inconsciente et spontanée.
Se battre, fuir ou se sidérer. Réactions de survie normales, forgés par des millions d’années d’évolution et de sélection naturelle, que nous partageons avec les lézards, les tortues et les tarentes. La particularité avec cette intelligence dite reptilienne, c’est qu’elle passe par les autoroutes de notre système nerveux, sans passer par le cortex, qui prendrait beaucoup trop de temps pour prendre la décision, pourtant simple, de retirer la main d’une braise, ou de bondir hors d’un trottoir quand une trottinette menace de nous écraser.
Tout cela est parfait. L’Hominia, la branche évolutive dont nous sommes issus, vient de passer sept millions d’années à vivre dans les steppes et les forêts de la terre. Ses réactions FFF sont parfaitement adaptées aux situations d’alerte qu’il rencontre dans ce milieu : croiser un fauve, apercevoir un serpent, se concentrer pour la chasse, fuir, se battre se figer. Et ces situations de FFF, dans le fond, ne sont pas si fréquentes. L’Hominia évolue, il s’organise pour trouver des endroits de sécurité, il reconnaît les pistes des prédateurs, il connaît les caches des serpents. Son alerte reptilienne prend la pause la plus part du temps, il fait la sieste au soleil lorsqu’il est repu, il câline ses petits, il joue, il se pelotonne dans les bras de celles et ceux qu’il aime. Il développe de l’attachement pour ses semblables, il se sent entouré, il bénéficie de la force des jeunes et de la sagesse des aînés.
Avec le temps, la sélection naturelle a fait son œuvre, permettant aux groupes les plus solidaires de survivre. Les groupes hominidés ayant peu de comportements pro-sociaux ont disparu, incapables de s’organiser pour survivre aux aléas du climat, incapables de transmettre des connaissances entre les générations. Nous sommes donc équipés génétiquement pour avoir des compétences fortes de socialisation et de protection. Prendre soin et chercher la compagnie est inscrit dans notre instinct de survie. Face à la souffrance, nous nous gorgeons d’ocytocine, notre cœur s’ouvre, nous avons l’élan de prendre dans nos bras, de sourire, de pencher la tête, d’être en empathie. Par dessus le FFF, notre système nerveux évolue et nous développons le T&B, pour Tend and Befriend, notre élan physiologique à socialiser et protéger.
Mais voilà que, soudain, en quelques générations, homo sapiens se met à construire des villes, qu’il invente des sciences, des automobiles, des intelligences artificielles, des bilans prévisionnels, des plans d’épargne logement et des soldes intermédiaires de gestion. Et qu’il fait de la lutte, de la compétition de tous contre tous, la règle de base pour organiser une société très étrange, celle du Business as Usual. Son génome n’a pas eu le temps de suivre une aussi rapide évolution de son mode de vie. La temporalité physiologique n’a pas le même rythme que la temporalité culturelle. Homo Sapiens porte des chemises et des montres qui lui envoient des notifications toute la journée. Il ne se réveille plus avec le soleil. Il ne sent plus la terre sous ses pieds. Il est en alerte, en hyper alerte, il est inquiet, toute la journée. Il est au bord d’un FFF dès 7h25 du matin pour être à l’heure à son bureau. Il sue pour mieux lutter, il libère de l’adrénaline pour se battre et du cortisol pour se charger en glucose. C’est plus fort que lui, telle est sa nature profonde quand il est en danger : il devient reptilien. Sauf que tout cela n’est pas très utile au beau milieu d’une présentation Power Point. Et sauf que, à la longue, ce stress permanent épuise notre homo sapiens : il dort mal, il prend des cachets, il s’achète une voiture un peu plus grosse.
Il y aurait bien une autre voie, celle de sa nature de mammifère, de son humanité, de sa génétique. Face au stress, il pourrait exprimer sa peur et sa tristesse, pour attirer ses congénères et recevoir de la tendresse. Un mot, une main sur l’épaule, une tête penchée, un doigt sur le cœur, deux respirations qui se synchronisent. Il suffirait de quelques minutes de cela, régulièrement, pour qu’il se sente bien, comme l’on fait des dizaines de milliers de générations d’hominidés avant lui. Sauf que, dans cette très jeune culture dans laquelle il est né, celle du Business as Usual, qui croit dur comme fer que le bonheur universel va jaillir d’une lutte sans fin de tous contre tous, ce n’est pas une norme socialement admise. Il est prié de réprimer cet élan humain, naturel, son instinct mammifère de survie. Il met donc le couvercle par dessus son stress, son FFF, il s’empêche d’aller se blottir dans la tendresse consubstantielle de sa race, et se réfugie dans le foisonnement de son mental. Pendant ce temps, un lézard qui se croit en danger de mort imminente se débat dans ses entrailles.
Ils sont loin, les arbres en lieu sûr, les sentiers familiers, les heures passées à jouer avec les petits, les soirées les yeux perdus dans les flammes. Les moments d’apaisement, de câlins, de rires, d’histoires, de chants, les moments de tendresse. Les moments d’humanité.
Par une anomalie de l’histoire, qui ne pourra pas durer bien longtemps tellement elle est mortifère, la culture du business as usual a finit par bannir ce qui nous distingue des tarentes.