« La méditation qui a du cœur », un stage pour mettre encore plus de conscience et de tendresse dans notre quotidien.

Ce stage permet de découvrir des techniques et des rituels simples de méditations basées sur la Pleine Conscience et la Tendresse, afin de mettre plus de présence, de joie et de bonté dans nos vies. Ce stage est ouvert à toutes et tous, sans prérequis de niveaux.

Déroulement et modalités

Le stage comporte un atelier d’une heure trente chaque semaine sur quatre semaines consécutives, puis une journée complète d’intégration un samedi de 9 à 16 heures. Les dates des stages sont précisées sur ce site dès qu’une cession est ouverte.

Pour participer à ce stage, une seule chose compte : notre motivation à mettre plus de présence aimante dans nos vies, pour nous, nos émotions, nos pensées, notre corps, et surtout pour les autres, nos familles, amis, voisins, collègues.

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Réponses aux questions les plus fréquentes

C’est de la méditation de Pleine Conscience ?

Oui, on y pratique des méditations de Pleine Conscience, en insistant sur les deux piliers de la pratique : l’attention et la compassion. On y parle donc d’attention, de non jugement, et on parle aussi de cœur, de tendresse, de pardon, de joie et de bonté.

Est-ce que c’est « spirituel » ?

« Spiritus » en latin veut dire « souffle ». Durant ce stage, on parle souvent de notre respiration, de notre souffle, que l’on choisit parfois d’observer avec tendresse et concentration. Alors oui, étymologiquement, c’est spirituel. Mais c’est aussi une pratique laïque, qui peut tout à fait être pratiquée par une croyante, un agnostique, une bouddhiste, un agnostique, une philosophe, etc.

Pourquoi es-tu « prof de méditation » ?

Je suis Enseignant Chercheur en Sciences Humaines et Sociales, et j’ai découvert la « méditation de pleine conscience » via un ouvrage scientifique « Healing Emotions » en 2003, que j’ai lu à la naissance de mon premier enfant. Je voulais répondre à cette question simple : comment ne pas trop souffrir de mes émotions, de ma colère par exemple, et comment faire en sorte de ne pas refiler trop de casseroles à mes filles…

Après avoir beaucoup lu et médité de façon épisodique, ma pratique est devenue quotidienne depuis 2013. Je fait régulièrement des retraites de méditations et de silence, trois jours, une semaine parfois, dans un cadre bouddhiste comme dans un cadre scientifique et exploratoire (comme celui du Mind & Life Institute). J’ai commencé à enseigner la méditation dans des écoles (collège, Lycée, Enseignement Supérieur) à partir de 2017.

En tant qu’enseignant chercheur, j’ai beaucoup lu et exploré la littérature scientifique consacrée au fonctionnement de notre esprit, de notre système nerveux, aux effets du stress et des croyances sur notre santé, et aussi aux effets bénéfiques des pratiques contemplatives sur notre bien être. Dans mes enseignements, j’essaie toujours de faire le pont entre les connaissances issues des sciences, et celles issues des grands courants de sagesse.

Dans mon propre parcours de méditant, j’ai découvert en moi des trésors, mais aussi des zones désolées. C’est pour cela que je suis particulièrement attiré par des approches de la méditation qui ont du cœur (pratique du pardon, de la joie, de la bonté, de l’humour et de la compassion), parce qu’elles nous aident, non pas à nous changer, mais à nous aimer telles que nous sommes, pour nous accepter et nous guérir. On apprend ainsi à porter un regard tendre sur notre humanité, avec nos hauts et nos bas, nos pensée, nos habitudes, bonnes et mauvaises, nos talents et nos limites.

Depuis 2020, j’ai la chance d’avoir été admis parmi les étudiants de Tara Brach et Jack Kornfield, dans le cadre du programme MMTCP de certification de Professeurs de Méditation, organisé par Greater Good Science Center de l’ University of California à Berkeley. Bien entendu, je suis cet enseignement à distance depuis Hyères les Palmiers en France !

Nous ne sommes pas des tarentes

Vous connaissez l’abréviation FFF, pour Fight, Fly and Freeze (Combat, Fuite, Sidération), qui sont les réactions innées et spontanées de survie de notre système nerveux. Ces réactions sont codées profondément dans notre génome, pilotées par notre système nerveux sympathique (SNS) et nous permettent, par le largage instantané de neuro transmetteurs, d’avoir une réaction physiologique adaptée (musculaire, sanguine et même immunitaire et psychologique) dans des situations d’urgence, de façon inconsciente et spontanée.

Se battre, fuir ou se sidérer. Réactions de survie normales, forgés par des millions d’années d’évolution et de sélection naturelle, que nous partageons avec les lézards, les tortues et les tarentes. La particularité avec cette intelligence dite reptilienne, c’est qu’elle passe par les autoroutes de notre système nerveux, sans passer par le cortex, qui prendrait beaucoup trop de temps pour prendre la décision, pourtant simple, de retirer la main d’une braise, ou de bondir hors d’un trottoir quand une trottinette menace de nous écraser.

Tout cela est parfait. L’Hominia, la branche évolutive dont nous sommes issus, vient de passer sept millions d’années à vivre dans les steppes et les forêts de la terre. Ses réactions FFF sont parfaitement adaptées aux situations d’alerte qu’il rencontre dans ce milieu : croiser un fauve, apercevoir un serpent, se concentrer pour la chasse, fuir, se battre se figer. Et ces situations de FFF, dans le fond, ne sont pas si fréquentes. L’Hominia évolue, il s’organise pour trouver des endroits de sécurité, il reconnaît les pistes des prédateurs, il connaît les caches des serpents. Son alerte reptilienne prend la pause la plus part du temps, il fait la sieste au soleil lorsqu’il est repu, il câline ses petits, il joue, il se pelotonne dans les bras de celles et ceux qu’il aime. Il développe de l’attachement pour ses semblables, il se sent entouré, il bénéficie de la force des jeunes et de la sagesse des aînés.

Avec le temps, la sélection naturelle a fait son œuvre, permettant aux groupes les plus solidaires de survivre. Les groupes hominidés ayant peu de comportements pro-sociaux ont disparu, incapables de s’organiser pour survivre aux aléas du climat, incapables de transmettre des connaissances entre les générations. Nous sommes donc équipés génétiquement pour avoir des compétences fortes de socialisation et de protection. Prendre soin et chercher la compagnie est inscrit dans notre instinct de survie. Face à la souffrance, nous nous gorgeons d’ocytocine, notre cœur s’ouvre, nous avons l’élan de prendre dans nos bras, de sourire, de pencher la tête, d’être en empathie. Par dessus le FFF, notre système nerveux évolue et nous développons le T&B, pour Tend and Befriend, notre élan physiologique à socialiser et protéger.

Mais voilà que, soudain, en quelques générations, homo sapiens se met à construire des villes, qu’il invente des sciences, des automobiles, des intelligences artificielles, des bilans prévisionnels, des plans d’épargne logement et des soldes intermédiaires de gestion. Et qu’il fait de la lutte, de la compétition de tous contre tous, la règle de base pour organiser une société très étrange, celle du Business as Usual. Son génome n’a pas eu le temps de suivre une aussi rapide évolution de son mode de vie. La temporalité physiologique n’a pas le même rythme que la temporalité culturelle. Homo Sapiens porte des chemises et des montres qui lui envoient des notifications toute la journée. Il ne se réveille plus avec le soleil. Il ne sent plus la terre sous ses pieds. Il est en alerte, en hyper alerte, il est inquiet, toute la journée. Il est au bord d’un FFF dès 7h25 du matin pour être à l’heure à son bureau. Il sue pour mieux lutter, il libère de l’adrénaline pour se battre et du cortisol pour se charger en glucose. C’est plus fort que lui, telle est sa nature profonde quand il est en danger : il devient reptilien. Sauf que tout cela n’est pas très utile au beau milieu d’une présentation Power Point. Et sauf que, à la longue, ce stress permanent épuise notre homo sapiens : il dort mal, il prend des cachets, il s’achète une voiture un peu plus grosse.

Il y aurait bien une autre voie, celle de sa nature de mammifère, de son humanité, de sa génétique. Face au stress, il pourrait exprimer sa peur et sa tristesse, pour attirer ses congénères et recevoir de la tendresse. Un mot, une main sur l’épaule, une tête penchée, un doigt sur le cœur, deux respirations qui se synchronisent. Il suffirait de quelques minutes de cela, régulièrement, pour qu’il se sente bien, comme l’on fait des dizaines de milliers de générations d’hominidés avant lui. Sauf que, dans cette très jeune culture dans laquelle il est né, celle du Business as Usual, qui croit dur comme fer que le bonheur universel va jaillir d’une lutte sans fin de tous contre tous, ce n’est pas une norme socialement admise. Il est prié de réprimer cet élan humain, naturel, son instinct mammifère de survie. Il met donc le couvercle par dessus son stress, son FFF, il s’empêche d’aller se blottir dans la tendresse consubstantielle de sa race, et se réfugie dans le foisonnement de son mental. Pendant ce temps, un lézard qui se croit en danger de mort imminente se débat dans ses entrailles.

Ils sont loin, les arbres en lieu sûr, les sentiers familiers, les heures passées à jouer avec les petits, les soirées les yeux perdus dans les flammes. Les moments d’apaisement, de câlins, de rires, d’histoires, de chants, les moments de tendresse. Les moments d’humanité.

Par une anomalie de l’histoire, qui ne pourra pas durer bien longtemps tellement elle est mortifère, la culture du business as usual a finit par bannir ce qui nous distingue des tarentes.

Il n’y a pas de monde d’après : Clair (7/7)

Si nous sommes à ce point fascinés par les tragédies, les fictions, les séries, de l’Yliade et l’Odyssée au Comte de Monte Cristo, de James Bond à Game of Thrones, c’est par ce que les grandes sagas nous ressemblent. Nous sommes tout à la fois l’enfant perdu, celle qui le sauve, celui qui guette tapis dans l’ombre, celle qui pleure, celui qui se venge, celle qui séduit et celui qui tombe. Ho bien sûr, nous avons nos personnages favoris, nos héros et d’autres qu’on méprise, des oubliés, jetés dans des culs de basse fosse. Mais au final, nous ne sommes ni le héros, ni le vilain. Nous sommes ce brouhaha de sensations, de pensées et de rêves, lancés dans un débat sans fin, plein de bruits et de fureur. Nous ne sommes pas les héros des tragédies. Nous sommes la tragédie.

« A girl has no name »

Arya Stark

Nous avons construit un monde à l’image de cette tragédie intérieur : à chaque minute, nous sommes placés sous un flot incessant de visages, de slogans, de débats, d’avis et d’opinions, de petites phrases, de notifications, de pictogrammes. Dans le métro, le bus, aux bords des routes, sur nos écrans, à la radio, partout. Et sans cesse, on nous invite à laisser un commentaire, un avis, à prendre parti, à incarner quelque chose, à réagir. Il est devenu impossible de ne pas réagir. De ne pas ajouter du bruit au bruit, du mouvement au mouvement, de l’information aux informations. Et dans ce capharnaüm de symboles et de signes, nous cherchons encore une pépite, une carte, une notice. Nous voilà Ulysse, Edmond Dantes, 007 et Arya Starck à la fois.

Et puis un matin, voilà qu’au détour d’une rue, entre deux pensées, dans notre cher vacarme, un détail apparaît. Un petit appel, une minuscule gaieté. Il faut nous arrêter. On ouvre la bouche. On ouvre la paume des mains. On guette : écoute ? On invite en nous plus de silence, plus d’attention joyeuse, plus de clarté. Et avec de la patience et de l’inaction – après un temps, une pause, une respiration –  on entend le chant fragile et entêté de l’oiseau.  Mais on entend aussi autre chose: tout le silence qu’il nous fallait pour lui, pour faire une place, pour lui ménager de la paix. Là, maintenant, dans la ville, dans notre course, dans la rue, dans notre tête, dans nos pensées tragicomiques. La fragilité de l’oiseau appelle la paix. Le chant de l’oiseau, c’est ce détail qui nous révèle au silence.

Au plus profond de la forêt la plus dense, il y a au moins un espace dégagé, ouvert au ciel, au vent, à l’espace, à la lumière. Dans le sombre, un recoin de clarté. Un lieu où le clair est possible. On appelle cela, très justement, une clairière. Un endroit dédié à la fabrication, la conservation et l’entretien de la clarté. Un tel endroit existe toujours. Il suffit qu’un arbre tombe, qu’une roche affleure, qu’un groupe de bêtes aie pris l’habitude d’y paître pour que l’espace fasse clairière. Il est impossible que la lumière ne réclame pas sa part.

Le soir, quand la tragédie se termine, que le théâtre se vide, que le wifi est coupé, il reste un espace dégagé, une scène vaste et du silence. Quand nous sommes cet espace, nous y voyons plus clair.


  • Sur les feuilletons et les héros : Umberto Eco, De Superman au surhomme, 1993, Grasset
  • Sur les systèmes intérieurs de personnages : François Le Doze, Christian Krumb, La Force de la confiance: Une Thérapie pour s’unifier, 2015, Odile Jacob
  • Sur le vide et le silence : Jiddu Krishnamurti , Découvrir l’illimité, Poche, 2016, Philippe Beaudoin (Traduction)

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.

Il n’y a pas de monde d’après : Comment (6/7)

Dans les vestiges sidérés de Pompéi, on ne trouve pas d’idées, pas de concepts, aucune opinion, pas un Dieu, nul rêve et aucun savoir. En revanche, il y a des amphores, des couteaux, des tessons d’assiettes, des fresques, et des restes de femmes et d’hommes figés en train de faire la vaisselle, ou de graver un morceau de bois. Depuis les débuts de l’aventure humaine, n’y a pas d’hommes sans objets. Homo « sapiens » bricole le monde, il aménage le réel, et c’est depuis les traces de son activité, et seulement à partir de celles-ci, que l’archéologue et l’historien inventent les mythes, les croyances et les coutumes des anciens. Aujourd’hui encore, la parole d’un Dieu, un vieux film de Charlot et le cliché souvenir des vacances sont encastrés dans des artefacts humains : pâte à papier, encre, plastique injecté, signal magnétique, bits et silicium. Homo « sapiens » est aussi Homo Faber, parce que penser et faire sont le même geste. Facio ergo sum : je fais, donc je suis.

Mais qu’est- ce donc que je suis ? une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? c’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme,qui nie, qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aussi, et qui sent.

Discours de la Méthode, René Descartes

Descartes, tenant dans sa main une plume biseautée par lui même, qu’il trempe dans un encrier soufflé par un maître verrier, hésite devant une page blanche et fraîchement manufacturée, à la recherche de la preuve ultime de sa propre existence. Il cogite. Et finit par conclure que sa cogitation, justement, c’est tout lui ! Il écrit alors sa meilleure punch line : Cogito ergo sum. La formule fait un carton, elle est reproduite avec les nouvelle machines à imprimer, reliée plein cuir et diffusée dans toute l’Europe. Sans l’ingénierie des Lumières, le savoir faire des imprimeurs et le travail patient des relieurs, la formule serait restée sur un papier volant du côté d’Utrecht. Ironie du sort, c’est grâce à l’ingéniosité et aux gestes de milliers d’artisans et de faiseurs, que l’idée de la supériorité des penseurs sur les faiseurs a colonisé les esprits.

Il y a désormais ceux qui pensent et ceux qui font, chacun son camp, cols blancs contre cols bleus. La femme de ménage (facio) rêve d’un fils architecte (cogito), l’architecte, d’un clic de souris, imagine (cogito) des bureaux en verre, plein Sud, au bord de la méditerranée, le laveur de carreaux (faccio) en sueur sur la paroi vitrée peste contre celui qui a pu avoir une idée aussi #§%@ » ! Les cols blancs se persuadent de leur primauté, et prennent le pouvoir. Ils imposent leur agenda : ce qui compte, c’est le sens, l’idée, le pourquoi des choses. Les concepts. L’intendance suivra. D’ailleurs, ils ont des penseurs du travail qui diront exactement ce qu’il faut faire aux cols bleus, en respectant la procédure et la norme qualité qui va bien. Les meilleurs des penseurs se réunissent pour mettre leurs idées en conserves – les fameux « Think Tanks » – pour les servir réchauffées aux décideurs et aux politiques.

Confinement : le maraîcher, le commerçant, l’éboueur, l’infirmière et le brancardier nourrissent, ménagent et pansent, de leurs gestes sûrs et habituels, les penseurs soudain vulnérables. Les premiers savent comment faire, les seconds voudraient comprendre. Depuis soixante-dix ans nous faisons cette erreur. Nous voulons protéger la biodiversité et limiter le réchauffement climatique par le pouvoir de la pensée. Chaque mois on publie les appels angoissés des scientifiques, on remplit des traités de résolutions et nos « Think Tanks » débordent d’idées. Et pendant ce temps, nos machines, nos artefacts, nos composés chimiques et nos gestes de cuisiniers stérilisent les sols nourriciers. Les « Do Tanks », eux, restent vides.

C’est qu’à force d’ignorer ce que sait la main, on a perdu la sagesse des faiseurs : notre héritage est ce que nous faisons et le comment et le quoi font un pas de danse à chaque geste.

  • sur l’Homo Faber : Henry Bergson, L’évolution Créatrice, 1908, Félix Alcan
  • sur ce que sait la main : Richard Sennett, Ce que sait la main, 2010, Albin Michel
  • sur l’encastrement de la pensée dans la sociomatérialité : Michel Callon, Eléments pour une Sociologie de la Traduction : La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. 1986, Presses Universitaires de France.

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.

Il n’y a pas de monde d’après : Vifs (5/7)

Peu à peu, la vie a pris des formes distinctes, différenciées, élégantes, jaillies de la soupe première des uni cellulaires. Des bactéries, des méduses, bientôt des plantes et des algues. Plus tard, au cœur de la biodiversité, est apparue notre lignée. L’un des premiers hominidés connus est Toumaï, un petit tchadien né il y 7 Millions d’années. Nous descendons de lui et de ses frères et sœurs. Vous, moi, Lady Gaga et Kim Jon Un sommes les enfants de Toumaï de la 350 000 ème génération. Si une génération durait une seconde, la saga des hominidés durerait un peu plus de deux heures. Les premières traces de villes, en Mésopotamie, apparaîtraient sporadiquement dans les 2 dernières minutes. Et la comptable, le maçon, le caporal chef et la syndicaliste, la militante écologiste comme le trader, la guerre froide, la guerre économique et l’internet crépiteraient furtivement dans les 3 ou 4 dernières secondes du générique. Et comme rares sont ceux qui restent jusqu’à la fin du générique, à la sortie de la salle, vous pourriez affirmer ceci : les humains sont des animaux sociaux, marcheurs, cueilleurs le plus souvent, qui fabriquent des outils, dansent, parlent, s’aiment, rient et pleurent, et jouent avec leurs petits au pied des arbres, autour de feux, et contemplent parfois la beauté naturelle des coquillages, debout et pleins de vigueur, et quand l’un tombe, on l’enterre, et un autre s’élève. Tout notre génome s’est forgé dans ce creuset : nos émotions, nos réflexes, nos attirances et nos répulsions. Et puis, brutalement, voilà que nous écrivons des rapports, codons en java, regardons des séries, et avons mal au dos.

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

Extrait de Correspondances, Charles Baudelaire

Dans les deux dernières minutes du film sur la grande saga des hominidés, il s’est passé quelque chose qui a échappé aux plus distraits : l’invention de la nature. Désormais, il y aurait l’homme, ses villes et ses outils ET le reste, la nature. Nature qu’on pourrait désormais mesurer, analyser, domestiquer, exploiter, compresser, distiller ordonner. Il y aurait alors deux ordres distincts : celui de l’homme, organisé, et celui de la nature, sauvage (la nature est sauvage, ou alors c’est un terroir). Dans les bureaux, les trains, les avions, devant les ordinateurs, les machines à outil, les bandits manchots et les distributeurs de billets, il y a des hommes coupés de la nature, et donc, bien entendu, de leurs propre nature, c’est à dire de leurs corps. Au travail, le seul moment où l’on s’inquiète du corps, c’est quand il tombe malade, qu’il se coince, qu’il frotte, où quand il est brisé par les émotions. La nature n’a rien à faire au bureau, surtout notre propre nature. Elle est tolérée sous forme de Yucca sur le pallier, à côté de la machine à café. Les corps doivent être réparés rapidement pour retourner au boulot, et on est priés d’apprendre à manager nos émotions.

Il se passe donc cette chose étrange, que c’est l’invention même du concept de « nature » qui provoque la fracture entre elle et nous, nous et notre corps et nous empêche de bien en prendre soin. Chez les peuples premiers, qui portent encore le savoir de notre lignée, le mot nature n’existe pas. Une femme, un enfant, un adolescent, sont des expressions du monde, au même titre qu’un bambou, qu’une tourterelle, ou qu’un virus. Il n’y a donc pas besoin d’un mot pour trancher entre telle ou telle forme prise par ce qui est, entre l’humain et le non humain par exemple, ni même entre l’inerte et le vivant.

Si vous regardez à nouveau le film sur la grande saga de l’hominidé, vous ne verrez pas des hommes dans la nature, vous verrez le monde, dans sa complexité, son entremêlement, le fruit jeté par une fillette, qui germe, attrape la lumière et l’eau, fait un arbre dont un homme plus tard fait le bois d’une hutte où nichent des hirondelles, toutes formes ruisselantes en un seul fleuve. La seule chose peut-être qui vous sautera aux yeux, c’est qu’il y a dans le paysage des éléments qui se transforment beaucoup moins vite que d’autres. Les canyons, les alpes, les cristaux et les plaines, en sept millions d’années, se métamorphosent beaucoup moins vite que les grenouilles, les canaris, les hominidés et les fougères, qui eux sont beaucoup plus vifs. Dans le monde, dans ce qui est, il n’y a pas une différence entre la nature et l’homme, et entre l’organique et le minéral. Il y a ce qui est vif et ce qui l’est moins.

Et ce qui est vif nous porte à rire, à danser, à manger, à crier, et à contempler la beauté des coquillages. Morts ou vifs ? Vifs !

  • sur les origines de l’homme : Yves Coppens, Pascal Picq, Aux origines de l’humanité, tome 1 : De l’apparition de la vie à l’homme moderne, Fayard, 2001
  • sur la fracture entre l’homme et la nature : Hamilton, Bonneuil & Gemenne, The Anthropocene and the Global Environmental Crisis, Routledge, 2015
  • sur interdépendance : Tich Nhat Hanh, The Sun, My Heart, Paralax Press, 1988

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.

Il n’y a pas de monde d’après : Présence (4/7)

Patience est le nom, et patient l’adjectif. D’un homme qui a de la patience (nom) on dira qu’il est patient (adjectif). Cela vaut pour nombre d’autre groupes nominaux. La clémence est ce que montre une personne clémente par exemple. De même, une professeure a de la pertinence quand ses propos peuvent être qualifiés de pertinents, etc. Jusqu’ici, c’est assez facile à comprendre. Mais alors, de quoi la présence est-elle le nom ? En toute logique, avoir de la présence, ce serait être présent. Si je rentre dans une salle, qu’il y a dix convives, tout le monde semble être là, ici et maintenant – hic et nunc – tout le monde est présent, sauf les absents (qui on bien tort). Et pourtant, tout le monde n’a pas la même présence. C’est qu’il doit y avoir une façon d’être présent un peu particulière pour qu’on puisse parler de présence.

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

Patrick Le Lay (alors directeur de TF1) – L’Express, 9 juillet 2004.

Or, de présent, mon Bon Monsieur, il n’y en a plus guère de disponible. Après la ruée vers l’or puis celle vers l’or noir (le pétrole), les marchands ont déniché un gisement stupéfiant d’énergie : l’or gris (les neurones). Celui de notre fameux temps de cerveaux disponible. Un or finalement assez facile à extraire, grâce aux découvertes des neurosciences. Créez une insatisfaction chez un homo sapiens (une mauvaise nouvelle, une courbe qui monte, une qui descend, une insulte, une tête qui saute) et aussitôt après, lui tendre un petit plaisir à lécher (un like, un j’aime, un mignon chaton, la photo d’un coca, un morceau de viande, du sucre, du sel, du gras, du sexe). Notre Sapiens innocent fabrique alors lui-même (et c’est ça qui est génial) sa propre drogue, gratuite, la dopamine, et il ressent en lui le plaisir immédiat. Hélas, trois fois hélas… Sous l’effet ambigu de ce neurotransmetteur, il devient rapidement dépendant, et veux reproduire encore et encore les conditions de sa sécrétion : il lui faut un abonnement Netflix, une nouvelle console de Jeux, de la 4G, un grand écran et Amazon Prime. Qui ne sont pas des drogues. Juste des dealers de dopamine, qu’il convoque de quatre à sept heures par jour (moyenne française). Le tour est joué. Les orpailleurs viennent de prendre possession de notre présent, revendu à prix d’or à des millions de marchands. Nous voilà, au sens originel du terme, parfaitement divertis, c’est à dire déviés de nous mêmes.

Et ce n’est pas fini ! Quand il nous reste un moment, voilà que nous fourmillons de projets. Nous préparons le week-end, une livraison, une fête, le creusement d’une piscine, le plantage de choux et la kermesse de Pâques. Nous devenons pour nous-mêmes des kapos implacables, avec rappels à l’ordre automatisés, cours obligatoires, bilans, agendas et l’obligation de fournir des preuves de notre sur-activité, documents photos à l’appui, à la supervision de nos réseaux sociaux… Qui nous donneront des likes en retour. Qui alimenteront eux aussi notre pompe à dopamine. Nous nous pro-jetons, c’est à dire, étymologiquement, nous nous jetons vers l’avant, vers le futur plus ou moins proche, hors du présent, à notre propre initiative, comme si le présent était décidément un endroit inhospitalier.

Or, le présent, c’est la seule adresse pour l’insouciance (qui se fout des projets) et le silence (qui ne pas besoin de diversion). Hier n’est plus, demain n’est pas encore, il reste l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre les deux, hic et nunc. C’est mince, mais c’est tout ce qu’il y a. Aimer, apprécier, contempler, rire, consoler, étreindre, guérir, ne se goûte que dans ce minuscule interstice, l’instant présent, et se goûte bien mal si nous en sommes trop souvent divertis et projetés.

Avoir de la présence (nom) c’est être présent (adjectif). Être bien campé là, le savoir, être disponible, sans attente particulière, être maître de son attention, insoumis aux vendeurs de dopamine facile. La présence c’est le retour au bercail.


  • sur la présence : Tich Nhat Hanh, The Miracle of Mindfulness, 1975 (et oui déjà!)
  • sur le fonctionnement des émotions et du cerveau : Rick Hanson, Le cerveau de Bouddha, Pocket 2013
  • sur l’économie de l’attention : Dir. Yves Citton, l’Economie de l’Attention, 2014

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.

Il n’y a pas de monde d’après : Ménager (3/7)

Ça s’est passé à la fin du XIXè siècle en Europe quand le marchand de Manchester a supplanté le chevalier et le curé. Victoire définitive du Tiers État, par KO, sur la noblesse et le clergé. Désormais, on pourrait dépasser la morale, et le sang. A la place, on se mit à compter, à mesurer, à organiser et à commercer. Après quelques massacres retentissants et parfaitement bien gérés au XXè siècle, on remplaça peu à peu les champs de bataille par une guerre économique perpétuelle. États Nations contre États Nations, Entreprises contre concurrents, secteurs contre secteurs. Homme contre Terre. Dans les tranchées de Verdun, d’un côté comme de l’autre, on haïssait la guerre, et on faisait déjà des plans pour la paix. La guerre était un accident, et le retour à la fraternité, la suite nécessaire et logique à la folie. Dans les tranchées de la mondialisation, l’idée d’une simple trêve, pour un petit virus, nous affole. Et pourtant, une trêve qui dure, n’est-ce pas la paix ?

Chacune a son petit mérite

Mais, mon colon, celle que j’préfère

C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit

Georges Brassens, Extrait de « la Guerre de 14-18 »

On a pris une grande valise, dans laquelle on a rangé tout ce qui serait utile pour la guerre économique. Sur cette valise, une grosse étiquette : management. Dans la valise, on trouve des outils très pratiques pour être de meilleurs guerriers : plus optimisés, productifs, résilients, plus agiles, plus séduisants, plus addictifs, plus persuasifs. On a des écoles de guerre et des sciences de guerre pour affiner ces outils et les enseigner au plus grand nombre. Et c’est un succès ! Aujourd’hui, on peut manager un hôpital, une école, une prison, un projet, une équipe, on peut aussi manager sa famille, ses relations, son réseau et sa vie. Et on peut déjà manager son corps et ses rêves. Rien ne doit échapper aux contrôle et aux mathématiques.

Et tout cela est basé sur un formidable malentendu originel.

Quand Guillaume le Normand – il y a presque mille ans – conquiert et unifie les royaumes anglais, la langue française devient l’idiome du pouvoir, des lois, du droit. Peu à peu, la langue du peuple, une sorte de proto anglais, va s’enrichir de centaines de vocables français. Cette infusion va durer jusqu’à la renaissance. Selon les linguistes, l’anglais actuel a emprunté entre un tiers et soixante pour cent de ses mots au français. Si les emprunts au français sont innombrables dans les domaines de la nourriture et de l’art de vivre, ils existent aussi dans le vocabulaire juridique ou commercial du marchand de Manchester (voir vidéo plus bas). Budget est issu de bougette, affair est la contaction de « à faire » par exemple. Et puis il y a Management…

Management est issu du mot français ménager / ménagement. Ménager a parfois le sens d’organiser, comme manager. C’est le cas dans l’expression « ménager un rendez-vous » ou « se ménager un abri » . Mais en français, ménager a bien d’autres connotations. Si je ménage un adversaire, c’est que je le traite avec indulgence. Si je ménage mon équipe, c’est que je suis soucieux de son état de fatigue. Quand je ménage mon corps, je fais preuve de douceur envers moi même. Qui veut voyager loin ménage sa monture. Ça n’est pas une nuance, ce petit « é » à la place du « a », c’est l’intention à la place de la mesure. Et ça change tout. Voyez (lisez) par vous même : Le ménagement des ressource humaines. Le ménagement de projet. Une Grande Ecole de Ménagement. Un entretien avec mon ménageur. Le ménagement du changement. Le Top Ménagement. Le ménagement international. Le ménagement de crise…

On peut garder la grande valise du management : dedans, il y a d’excellents outils pour se coordonner, et s’organiser collectivement, des outils bien pratiques, pour réaliser nos rêves, construire des ponts, des respirateurs, des films, des biscuits. Changeons juste la grosse étiquette sur la valise. Et remettons ainsi un peu d’intention (de soin, de douceur, de délicatesse) dans notre action. Pour donner sa chance à la trêve – et tendre à la paix – il nous faut à présent des ménageuses et des ménageurs de paix.


  • sur la victoire des marchands de Manchester : Georges Bernanos, La France contre les Robots, Plon 1970
  • sur l’influence du français sur l’anglais : Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense, éd. Robert Laffont 2001 
  • sur la paix économique : Dominique Steiler, Osons la paix économique, DeBoeck 2017

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.


Il n’y a pas de monde d’après : Vulnérable (2/7)

Ayant oublié que nous sommes des vertébrés, nous croyons que si nous ne pouvons devenir doryphores, nous seront poulpes (au passage, c’est mal connaître l’intelligence des poulpes, mais là n’est pas la question). La vérité est que nous craignons les formes molles, tendres, sans prise, que nous les croyons fragiles et exposées. Alors, par crainte d’attendrissement, nous préférons nous fabriquer des carapaces. Et plus dures sont les coups, réels ou symboliques, que nous croyons recevoir, et plus nous épaississons notre cuirasse. Or, ni le poulpe ni le doryphore n’ont conscience de leur vulnérabilité, ce qui est l’apanage d’une certain type de vertébrés, amniotes, mammifères, de la famille des primates que l’on trouve plus souvent dans les supermarchés que sous les feuilles de patates.

« Si tu sais être dur, sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent, etc. »

Extrait du Poème « If » de Rudyard Kipling

Si vous avez un fils, ne lui demandez pas d’être un homme en lui lisant ce fameux, ce superbe, cet horrible poème de Kipling, qui dresse l’inventaire des impossibles épreuves à surmonter pour être un homme, mon fils (et merci à mon père de ne m’avoir jamais lu ce texte). A moins bien entendu que vous aimiez votre fils en doryphore. Malheureusement Kipling n’est pas le seul à vanter les mérites du durcissement : on admire IronMan, DarthVador, le Football Américain, les SUV carénés, on pratique le renforcement musculaire : partout on fait l’éloge des carapaces. L’erreur est si parfaite, que notre sapiens a fini par confier la direction des opérations à des nuées de doryphores. C’est très mal connaître le fragilité des doryphores, dont se régalent au printemps les mésanges descendues des Hautes Alpes pour nettoyer les plants de pomme de terre du jardin. La mésange, comme nous, est un vertébré.

En tant que vertébrés, nos parties les plus dures sont à l’intérieur de notre corps, et nous nous appuyons sur elles pour survivre. Ce qui signifie que nous sommes facilement blessables : une branche nous griffe, un caillou nous donne un bleu, une poussière nous fait larmoyer. Le mot vulnérable vient d’une locution latine signifiant « qui peut être blessé ». Vulnérable est notre nature. Et si nous savons regarder profondément dans l’évidence de nos blessures, nous verrons également l’évidence de nos guérisons. Nos plaies s’assèchent, notre sang coagule et notre peau se régénère. Même nos os peuvent se ressouder. Seul un être vulnérable guérit, puisque blessure et guérison sont deux moments d’un même processus, comme deux chevaux tirant au même attelage. Bardés de cuirasses, nous devenons les cavaliers lourds d’Azincourt, pas assez vifs pour éviter les flèches. Nos carapaces retardent les guérisons et nous alourdissent. Il serait plus utile d’enseigner à nos filles et fils l’art d’être vulnérables, qui est aussi l’art de la guérison, qui est aussi celui de la métamorphose.

Vulnérable, c’est pour le corps. Pour l’esprit on utilise un autre mot : le doute. Tandis que le doryphore entêté peut mourir en avançant dans le fond d’un trou, bardé de certitudes, enfermé dans sa carapace de croyances, celui qui doute, au contraire, lève la tête, explore un autre chemin, et peut même appeler du secours. J’attends la patronne, le commandant, le contre maître, l’experte, l’homme politique, qui osera dire : mes amis, je ne sais pas trop où nous en sommes, mon esprit est confus, je souffre un peu, j’ai parfois peur, j’ai de la colère, c’est compliqué. Je fais au mieux, mais là, j’aimerais bien un peu d’aide ? Je l’attends celle-là, celui-là, car elle me donnera la chance de vivre ce que les homo sapiens, mammifères grégaires aiment vivre par dessus tout : prendre soin de toi.

Peut-être n’avons nous plus besoin de chefs carapacés, mais juste de femme et d’hommes inspirants : qui se blessent, qui guérissent, et qui nous montrent comment faire cette métamorphose.


  • sur l’élan à prendre soin de l’autre : Rosenberg, Marshall, 1999, Les mots sont des Fenêtres
  • sur la guérison : Daniel Goleman & The Dalaï Lama, 2003, Healing Emotions, Shambala Editions.
  • encore sur la guérison : Thich Nhat Hanh, Transformation et Guérison, 1999, Albin Michel

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.

Il n’y a pas de monde d’après : Gentille (1/7)

Pour commencer, essayez de ne pas visualiser un éléphant rose. De ne pas voir sa trompe et ses grands yeux et ses oreilles roses. Et de constater que c’est impossible. Notre esprit renforce ce contre quoi il lutte et révèle ce qu’il voudrait cacher. Et à présent, selon le même principe, quel mot voyez vous, en lisant ceci : non-violence. Et celui-là : bienveillance. Violence, Veillance. Pauvre bienveillance, coincée entre la surveillance panoptique d’un « BigBrother » et la sousveillance des  « Little Sisters », nos milliers de petits micros et de petites caméras. Décidément non, ça ne va pas. Comme pour l’éléphant rose, on repousse mal le contrôle et la violence avec la bienveillance et la non-violence…

Si on veut ramener à la surface des mondes une certaine qualité de souplesse, de douceur, de délicatesse, il nous faudrait trouver un autre mot. Un mot sans ambiguïté, commun, vaste, compris de toutes et tous, invoquant d’emblée le côté tendre de nos êtres. Sans éléphant rose caché dedans. Prendre ce mot, lui ménager un espace de lumière avec un bon terreau, et contempler comme il fleurit. Il y aurait bien le mot gentille, mais…

« Jean-Luc ? Bha, on va dire que c’est un gentil garçon, si tu vois ce que je veux dire ».

Roger, à la machine à café lundi matin

La gentillesse, dans des mondes où l’agressivité et la brillance sont réifiées, est devenue une vertu secondaire. Si on ne peut pas être puissant, belle, intelligente, malin, glorieuse ou influent, il reste la possibilité d’être gentille. La gentillesse est devenue la vertu refuge quand on n’a pas d’autre choix, ou pire, c’est le péché des naïfs ou des faibles qui croient – les malheureux- que nous serions dans Un monde de Bisounours. Heureusement qu’une sagesse de comptoir prévient Jean-Luc de tout excès de gentillesse, car mon pote, pas vrai, « trop bon, trop con ».

Il faut y regarder de plus près. Observer nos mondes avec plus de présence, en focalisant notre attention sur les petites choses toutes simples et merveilleuses qui se déroulent sous nos yeux, inobservées, discrètes. Regarder comment la maîtresse d’école retient la porte deux secondes de plus pour qu’un enfant mal réveillé s’engouffre dans la salle de classe. Comment chaque matin, sans nul besoin de surveillance, justement, des milliers d’automobilistes s’arrêtent à un stop et attendent leur tour. Comment trois personnes s’approchent, inquiètes et tiennent une main si l’un de nous s’écroule en pleine rue. Il faut se réhabituer à voir la banalité de la gentillesse, partout disponible, toujours s’exprimant, colmatant nos mondes comme la salive des ouvrières font tenir une ruche. Et parfois, surgit le miel d’une gentillesse héroïque. Quand la colère surgit, ou la tristesse ou encore le désespoir. Une présence soudain suave et délicate, un silence, un sourire, un regard auquel s’accrocher, la noblesse, le courage d’une gentille, d’un gentil. Et de sentir en nous ce qui survit, est vif encore, et pourra s’éveiller. Une fois encore, être sauvé par ta gentillesse. Parce quand je tombe, ta brillance, ta gloire ou ton influence ne me sont d’aucun secours.

Nos mondes en métamorphose ont soif de gentillesse. A force d’injonctions (muscle ton jeu!) et d’éducation, nous avons perdu l’habitude de la voir. Elle nous manque secrètement, alors qu’elle est partout disponible. Et que deviennent la force, la vigueur et la présence sans gentillesse ? Elles font le lit de la violence, de l’agressivité et du contrôle. Il est temps de glaner à nouveau les graines de gentillesse, innombrables, partout semées. De s’habituer à les remarquer chaque jour. Et puis d’oser enfin. Oser la gentillesse c’est donner la permission aux autres d’être gentilles à leurs tours. Et il ne faut pas se méprendre : dans la colère ou la peur, rares sont celle et ceux encore capables de gentillesse. Quand la brillance, l’intelligence, la force, l’influence ou la gloire ne sont plus possibles, il est véritablement héroïque d’être un gentil. Et rares sont les maîtres. A part peut-être, chez les plus modestes, les plus discrètes, les plus vulnérables et les plus silencieuses d’entre nous.

La noble caste entêtée et invisible des gentilles.


  • sur le monde en rhizomes : Gilles Deleuze & Félix Guattari – 1000 Plateaux, Capitalisme et schizophrénie (1980)
  • sur la surveillance et la panoptique : Foucault, Michel (1975). Surveiller et punir : Naissance de la prison, Paris : Gallimard.
  • sur la sousveillance : Mann, Steve. « « réflexionisme » Et « diffusionnisme »: Nouvelles Tactiques Pour Déconstruire L’autoroute De Vidéosurveillance ». Leonardo 31 (1998): pp 93-102. Print. Leonardo.

Cet article fait partie d’une série de 7 textes écrits pour explorer la notion de « monde d’après », thème devenu à la mode depuis l’épidémie de Covid19. Ces textes sont construits sur une même ontologie : il n’y a pas de monde d’après. D’abord parce qu’il n’y a pas Un monde mais Des mondes (de l’éducation, des finances, de la politique, de l’enfance, de la santé, d’Asie, d’Europe, des médias sociaux, etc.). Et ensuite, parce que ces mondes n’ont pas d’états figés avant / après. Les mondes sont des flux de métamorphoses, ils se transforment sans cesse, naissent, se croisent, meurent et se renouvellent. La réalité, est une pelote vivante de mondes tissés, comme un vaste amas de rhizomes enchevêtrés les uns dans les autres. Dans cette pelote, des graines sont en dormance depuis longtemps. D’autres ont proliféré. Je souhaite porter un regard de tendresse sur ces graines oubliées – celles qui végètent – que nous les couvions, qu’elle s’enracinent et fleurissent à nouveau, plus nombreuses, dans nos mondes emmêlés.